vendredi 29 avril 2011

Oliviero Toscani et l'anorexie

Plus j'y pense, moins je comprends.
Je vous mets en contexte. 

La campagne de Benetton en 1984
Oliviero Toscani est un photographe italien, qui a grandement contribué à construire l'image de Benetton, une marque de vêtements qui, semble-t-on, propose une abondance de coloris. Toscani, en artiste sensible, se devait de transposer ce concept de couleur en lui donnant un sens tout autre: il a fait de la publicité de Benetton un genre de campagne anti-rascisme.
C'était en mai 1982.

Il n'est que légitime de dire que ses photographies étaient belles, que son objectif semblait philanthropique, et qu'il était plutôt avant son temps, le racisme n'étant pas encore un sujet à la mode.
Un beau coup.

La campagne de Benetton en 1989
Il a continué dans ce sens pendant plusieurs années. Il s'est visiblement éloigné du thème de la mode, mais la notoriété de la campagne de Benetton justifiait qu'il ne se satisfasse que d'une photo choc, et du slogan "united colors of Benetton".

C'est après que, selon moi, ça se gâte. En 1993, pour ne donner qu'un exemple, Toscani s'embarque dans la lutte contre le SIDA.

Le sujet est délicat, encore plus en 1993 qu'il ne l'est aujourd'hui. La campagne aurait pu être bien accueillie, si elle ne déclenchait pas une polémique aussi vive. Les photos montrent des parties du corps tatouées d'un "H.I.V positive" en mauve. Or, cette encre mauve rappelle les tampons utilisés par les services vétérinaires pour marquer la viande, et si les intentions de Toscani devaient être les meilleures, il est permis de se questionner. De telles images ne favorisent-elles pas les idées d'exclusion et de rejet des gens atteints du SIDA?
L'objectif de la campagne n'est pas clair. Quelque chose cloche, non ?
La campagne de Benetton de 1993
Quel est le message de cette campagne ? Ou plutôt, avait-elle seulement un message, ou n'était-ce qu'une chance de plus de choquer et de faire parler de Benetton ?

Toscani a signé plusieurs autres campagnes qui ont déclenché de vives polémiques (des pages de sexes féminins et masculins dont le message publicitaire ou humaniste reste incompris, des religieux s'embrassant, la famille d'un homme de la mafia regroupée autour de son corps ensanglanté), mais c'est celle de 1993 qui a marqué la fin de son union avec Benetton. Il avait donné à la marque sa notoriété, mais était allé trop loin.

(Pour voir les différentes campagnes de Benetton, qui sont, jusqu'en 1993, menées par Toscani, cliquez ici)

Quand les médias s'attaquent à l'anorexie

C'est bien beau tout ça, mais ce n'est pas exactement ce sur quoi je veux débattre aujourd'hui.
En 2007, Toscani s'attaque à l'anorexie.
Vous avez déjà vu les images chocs qui, bien qu'interdites dans plusieurs pays, ont fait le tour du monde grâce à l'Internet. Il s'agit de photos d'Isabelle Caro, jeune anorexique, nue, accompagnées du slogan "no anorexia", pour la marque No-l-ita.

Je vous épargnerais l'image, parce que, rien qu'en fermant les yeux, vous la voyez encore, j'en suis certaine. Mais la voilà quand même, pour ceux qui ont besoin qu'on leur rafraîchisse la mémoire.
Le corps émaciée d'Isabelle Caro, étalé sur deux pages d'un magazine... 
La question que je me pose : pourquoi ?
« Il y a des années que je m'intéresse à l'anorexie. Qui en est responsable? Les médias en général, la télé, la mode. Il est donc très intéressant qu'une marque de vêtements comprenne l'importance du problème, en prenne conscience et parraine cette campagne »
Voilà ce que le photographe a affirmé. 
L'anorexie, comme tous les troubles des conduites alimentaires, n'est PAS une simple conséquence des mannequins que les médias nous montrent. C'est une maladie mentale, dont les racines biologiques sont bien prouvées.
Et s'il voulait démentir le modèle actuel de la beauté, ne serait-il pas plus logique de présenter des femmes en santé, bien en chair, et bien dans leur peau ?

Pourquoi présente-t-il l'anorexie comme une conséquence ? L'image ne semble-t-elle pas dire "c'est de ça que vous allez avoir l'air si vous êtes assez idiotes pour devenir anorexiques" ?
Je ne peux m'empêcher de comparer cette campagne publicitaire aux images que l'on retrouve sur les paquets de cigarettes.
Ici, le message est clair: "la cigarette, ça brise le coeur". Voilà, c'est dit. On avertit les acheteurs que la cigarette est néfaste pour leur santé.
Quel slogan accompagnerait-il le mieux les images de Toscani ? "Être anorexique, c'est dangereux"?
Ça serait super... Si l'anorexie était un choix.
Fumer, c'est un choix. D'accord, c'est plus facile de commencer que d'arrêter, mais ça reste, au départ, un choix.
Pas l'anorexie.
L'anorexie est une maladie mentale. Des images comme celles que Toscani a prises n'ont aucune répercussions dans la prévention de la maladie.

Au contraire. De telles images ne peuvent que pousser une personne qui souffre d'un TCA à se comparer à Isabelle Caro, créant ainsi un esprit de compétition, qui ne vient que nourrir le mouvement pro-ana.
Une personne anorexique n'a pas besoin de voir ces images. Elle a besoin de voir une femme qui a du gras sur le corps, et qui est belle quand même.

Alors, si cette publicité n'a aucun pouvoir préventif, et ne guérira jamais personne, pourquoi l'a-t-on conçue ?
La réponse est simple.
Pourquoi parler, si l'on a rien à dire ? Pour se faire remarquer.
La campagne de No-l-ita n'était rien de plus qu'un coup de publicité, une façon de faire parler d'eux. Eh bien, chapeau, No-l-ita. C'est réussi.

Qu'en pensez-vous ?

2 commentaires:

Laolise a dit…

Ton article est intéressant, je n'ai jamais aimé cette campagne de pub non plus. Je l'ai toujours trouvée plus malsaine qu'utile ou je ne sais quoi.
Tu sembles assez motivée sur ton premier article, alors bon courage à toi !

C a dit…

Merci de tes encouragements !
Ces temps-ci j'ai trop de choses a faire, mais dès que j'ai une minute je m'y mets, je suis très motivée, en effet ! :)